mercredi 24 mars 2010

Projet de reboisement d’Haïti

Par Michel William, agronome
Sources: DEBANASYONAL et l'auteur, Lun 22 mars 2010, 11 h 02 min 31 s


A date les projets de reboisement n’ont pas réussi parce que le paysan n’a pas de terre à reboiser.

Le peu de terre disponible qui existe est réservé à la culture sarclée appelée culture vivrière et à l’élevage libre. Un arbre adulte couvre une superficie de 78,50 m^2 selon la formule S=3,14 X r^2 dans laquelle le rayon est égal à 5 mètres. Dans cet espace qui ne reçoit aucune lumière solaire rien ne pousse. 1/8 d’un ha ou 1250 m^2 est la superficie moyenne travaillée par un paysan en montagne humide et en terrain irrigué pour conduire son jardin vivrier. Lorsqu’un arbre adulte couvre à lui seul une superficie de 78 m^2, seize arbres couvrent tout l’espace du jardin vivrier du paysan. Dans ces conditions demander à un paysan de reboiser son lopin de terre c’est lui demander de se suicider indirectement car il ne pourra pas cultiver ses vivres alimentaires. C’est dans ces conditions que les ONG internationales généralement investissent sous forme d’apparence les 25 % des fonds qu’elles reçoivent pour les projets de reboisement.
Haïti est un pays montagneux à 75%. La vocation de terres montagneuses à pente abrupte devrait être une agriculture faite d’arbres fruitiers et forestiers à des fins industrielles dans un cadre de développement durable. Mais le paysan qui habite ces terres et qui est victime de la loi successorale, est inconnu de l’état. Il exerce une pression démographique très forte sur la terre pratique la culture sarclée pour vivre comme au temps de la colonisation. Reboiser un terrain implique d’abord le coût de conservation de ce terrain, le coût de la plantule, le cout d’entretien de la plantule et le calcul de la rentabilité de cette plantule qui devra fournir définitivement, et dix fois plus, le revenu du jardin vivrier.

Poser le problème du reboisement du pays revient ipso facto à poser le problème de l’exploitant agricole qui devra vivre de ce projet de reboisement. Plus les services de l’état sont disponibles dans une section communale moins chère est la vie et plus faisable est un projet de reboisement. Inversement plus l’état est absent dans une section communale, plus les services sociaux manquent, plus chère est la vie, plus impossible est un projet de reboisement.

Cout d’un projet de reboisement

Il n’existe pas à proprement parler un coût technique de reboisement du pays. Haïti étant un pays montagneux, le reboisement du pays en lui-même est un projet de société qui vise le remplacement progressif de l’agriculture sarclée par une agriculture arborée, pérenne, capable de fournir au paysan haïtien dans un intervalle de dix à cinquante années le revenu qu’il gagnait de l’agriculture sarclée. Haïti dispose de 30 bassins versants totalisant 2.177.000 has. Tous nécessitent une intervention urgente de l’Etat haïtien en terme de protection et de conservation.

Au coût de $ US 1000 .00 l’ha, le traitement de ces 2.177.000 has de terre s’élèverait à 2 milliards 177 millions dollars américains. Si l’on considère qu’un arbre fruitier devient économiquement productif après sept années et qu’une essence forestière l’est après un minimum de vingt ans et que pendant cet intervalle il faut pourvoir permettre au petit exploitant de gagner sa vie en faisant simultanément la culture vivrière sarclée en couloir sur le même lopin de terre, la première action durable capable de soutenir un projet de reboisement est de trouver au cout actuel de la vie, une quantité de surface reboisée en arbres fruitiers ou en espèces forestières qu’un paysan devra travailler pour vivre économiquement de sa nouvelle exploitation. Par exemple, dans le cas de la mangue francisque qui permet 70 pieds à l’ha et en moyenne 60 douzaines de fruits par pied à raison de 25 gourdes la douzaine, un ha en production donne après 5 á 7 années un revenu de 105.000 gdes l’an ou 2.625 $ US ou $ 218,75 par mois. Au cout élevé de l’éducation, des soins de santé, de l’eau potable, du loyer, de l’alimentation, du transport et de téléphonie mobile et de la justice un revenu au rabais de 500 dollars américains par mois est le minimum nécessaire pour mener une vie pauvre acceptable.

Sur la base de ce calcul, il faut déduire qu’un minimum de deux (2) has en montagne par paysan est la superficie économiquement exploitable en arbres fruitiers vers laquelle doit tendre tout projet de société qui est nécessairement lié à un projet de reforme agraire. Notons que toutes les terres ne conviennent pas à la culture du manguier et que d’autre recherche devrait pouvoir orienter les hommes politiques et les agroindustriels sur le choix des plantules.

Actuellement la quantité de terre exploitée par un paysan avoisine le 1/4 d’ha en montagne humide, 1/8 ha en terrain irrigué, un ha en milieu semi-aride. Pour avoir 2 has par personne il faut exproprier par ha sept personnes en milieu montagneux et humide et 14 personnes par exploitation. Où va-t-on mettre ces quatorze personnes expropriées sur chaque exploitation reformée ? La question de création de travail se pose pour ces dépossédés de la terre. Un projet de décentralisation et de valorisation des ressources humaines et physiques de la section communale serait un corollaire obligé de reboisement dans chaque section communale ?

Qui dit réforme agraire dit projet de société. Un projet de reboisement est un projet de société et de réforme agraire dans lequel le politique entre pour apporter les services de base nécessaire au maintien de la vie et á la production.

Il faudra calculer le cout de cette réforme agraire et les conditions de sa faisabilité. Haïti peut-elle réaliser actuellement un projet de réforme agraire ? Réponse formelle non sous le gouvernement de Bellerive et de Preval.
Lorsque cette réforme agraire aura été rendue possible avec toutes les autres mesures d’accompagnement, on pourra calculer :

  • Le coût de conservation à l’ha
  • Le coût de production des plantules à reboiser
  • Le coût d’entretien des plantules
  • Le coût de l’agriculture sarclée chaque année pendant les sept premières années avant qu’un arbre fruitier entre en production
  • Le crédit rural nécessaire



Le coût d’un tel programme prend en compte seulement l’aspect sécurité alimentaire du petit producteur. Il n’y a pas que l’aspect sécurité alimentaire directe qui pousse le petit paysan à déboiser la terre, il y a aussi le coût de l’éducation de ses enfants, celui de sa santé, ses besoins de justice, celui de sa maison, ses besoins culturels, Si le gouvernement à travers l’administration décentralisée et déconcentrée de la section communale arrive à fournir les services essentiels qui font diminuer le coût de la vie et la pression sur la terre dans la section communale, il y a de fortes chances qu’un programme de plantation systématique d’arbres pour changer l’économie paysanne réussisse moyennant l’existence d’une loi cadre avec ses services de police nationale, de police environnementale, de tribunaux et de prison pour obliger les contrevenants à respecter les prescrits de l’Etat en matière d’exploitation économique des mornes.

A présent on ne peut pas parler de coût de reboisement du pays sans une réforme en profondeur de l’Etat. Ce dernier devra constituer un programme de politique générale avec le reboisement comme priorité. Aujourd’hui le budget de la République approche les 79 milliards de gourdes qui ne couvrent pas les sections communales. Il faut la présence de l’État dans son pouvoir régalien pour reboiser les sections communales vidées de tout. .Comme celles-ci ne peuvent pas être reboisées en même temps, il va falloir diviser le pays en zones de priorité de reboisement sur la base des ressources naturelles exploitables capables de créer du travail, d’alléger la pression sur la terre, de ramener la superficie exploitable de culture arborée à une quantité d’has capables de couvrir respectivement les besoins socio-économiques du producteur en zones humides et en zones semi-arides.

Prérequis

La solution des problèmes des bassins versants ou de reboisement approprié des montagnes réside dans la participation réelle et effective de la population, qui par son effort apportera 60 à 70 % du coût effectif d’un projet de reboisement. La participation est liée au leadership local. Un tel projet ne peut pas se faire sans la présence manifeste de l’Etat à travers ses administrations décentralisées et déconcentrées dans chaque section communale du pays. Il faut que les autorités locales casec, maires, députés, assemblées communales etc soient élues démocratiquement, que le pouvoir décentralisé ait son propre budget et sa propre administration. Il faut que le pouvoir déconcentré des ministères se retrouve au niveau de la collectivité et encadre le pouvoir décentralisé dans le plan d’aménagement du territoire de la section communale. A l’intérieur du plan d’aménagement sera étudié le programme de conservation et de reboisement de la section communale obligatoirement lié á un projet économique bancable et à un sous projet de tenure foncière qui fait de l’Etat le propriétaire légal de la terre et de l’exploitant le propriétaire permanent conditionnel. La notion de propriétaire conditionnel permanent implique la notion de la force publique prête á être mobilisée par le pouvoir décentralisé pour faire respecter les droits et les devoirs de l’exploitant vis-à-vis du patrimoine national.

A date, il n’y a jamais eu en Haïti de projets économiques de reboisement. Il n’y a que des projets humanitaires de reboisement qui ont facilité l’amélioration des conditions de vie des propriétaires d’ONGs et des cadres supérieurs de l’administration déconcentrée de l’état. Ces types de projet de reboisement ont engendré le chômage, le déboisement, la détérioration des conditions de l’environnement et créé chez le paysan un sentiment d’arrogance et de méfiance.

Le reboisement doit être un projet politique de société de proximité dont la responsabilité première incombe aux leaders locaux élus à la suite d’élections libres et démocratiques à partir du fonctionnement local de partis politiques ayant préparé depuis longtemps l’éducation civique de la population. Les élus locaux sortis de nos jours des urnes à partir d’élections sélection nomination et avec des taux d’abstention de 92 à 95% ne peuvent pas gérer un projet de reboisement. Ils n’ont pas de légitimité. Le président Préval et la communauté internationale ne l’entendent pas de cette oreille en organisant après 1990 seulement des élections mascarades.

La génération actuelle de jeunes et d’adultes qui peuplent les bassins versants ne peut pas non plus répondre de cette participation, parce qu’il n’existe pas de référence ou de modèle de projet de bassins versants reboisés qu’on peut lui montrer pour l’entrainer dans ce vaste effort collectif de mouvement citoyen de conservation et de reboisement du pays.

Pour avoir cette participation il faut dès maintenant envisager les étapes suivantes :

  • Organiser de bonnes élections au suffrage universel pour tous les élus locaux
  • Étudier un projet de reforme agraire
  • Promulguer une autre loi sur les ONG
  • Préparer la nouvelle génération d’haïtiens
  • Concevoir avec les Ministères de l’Environnement, de l’Agriculture, de l’Education nationale, du Commerce, de la Justice de l’Industrie et avec un éditeur de renommée en Haïti un manuel d’instruction civique sur les bassins versants qui intègre le reboisement et la survie environnementale du pays dans le curriculum des écoles primaires, des écoles secondaires comme matière obligatoire à l’instar des mathématiques et du français dans les examens officiels.
  • Retourner avec les fermes agricoles d’antan dans les écoles des sections communales
  • Bâtir des modèles d’interventions réussies dans les Bassins versants.
    Au lieu de concevoir des projets politiquement corrects ,(projet de reboisement de la rivière La Quinte de 695.000 has qui n’aboutissent même pas à un seul hectare protégé ) il faut sélectionner deux ou trois transecs de 1/1000, de 1/500 de la superficie du grand bassin versant pour bâtir des modèles cohérents de développement des personnes et de reboisement où les services essentiels de base sont apportés par l’Etat et les services économiques propres à la production, dont la banque de crédit rural, sont apportés par le secteur privé pour valoriser les parcelles de terrain mises en défense et reboisées.
  • Rétablir l’Etat fonctionnel dans la section communale
  • Venir avec un projet de crédit rural
  • Procéder par étape. Une section communale fait 5000 has. Si on prend un transect 500 has de bassins versants par section communale. Pour les 565 sections communales il faut prévoir une superficie de 282.500 has ou le dixième de celle des 30 bassins versants. Je suggère qu’on commence avec 28.250 has chaque année. Dans dix ans on aura reboisé 282.500 has. Lorsque ces ilots de référence après dix ans de développement auront prouvé leur raison d’être économique et protectionniste, il sera possible pour l’état décentralisé déjà implanté dans la section communale de venir avec un programme national de reforestation orienté vers l’agro industrie. Si après dix ans, le nouvel état environnemental et économique des sections communales se révèle convaincant, crédible, rentable, juste et impartial, l’apport des paysans aidant on pourra passer à six cent mille has pour les prochaines dix années et dans cinquante ans le pays aura retrouve la verdure et l’or vert qui l’avaient fait mériter le nom de « Perle des Antilles ».