vendredi 22 janvier 2010

Analyse - Haïti: la viabilité passe par le reboisement

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Les quatre tornades et cyclones qui ont frappé Haïti à la fin de l’été 2008 ont transporté aux Gonaïves 2,6 millions de tonnes de boues.
Photo: AFP
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Par Louis-Gilles Francoeur


Le drame qui plonge présentement Haïti dans la désespérance résulte d'une catastrophe écologique multiforme causée par le déboisement intensif amorcé par les premiers exploitants coloniaux et consommée à cause de la pauvreté endémique qui résulte en bonne partie de l'épuisement et de l'atrophie des anciens écosystèmes.

S'il y a tellement de gens massés dans Port-au-Prince et ces bidonvilles qui leur sont tombés sur la tête, c'est que la population a massivement quitté des campagnes et des régions forestières qui ne peuvent plus leur fournir nourriture, vêtements et gîte sécuritaire.

Les forêts d'Haïti couvraient autrefois 80 % de l'île. Il en reste aujourd'hui entre 1 % et 2 %. Leur disparition s'est accélérée récemment, car ces forêts couvraient encore 20 % du territoire haïtien en 1960.

La pauvreté endémique a fait le reste. Aujourd'hui, faute de revenus suffisants pour s'acheter du gaz ou de l'électricité pour la cuisson et l'éclairage, les Haïtiens utilisent le charbon de bois pour 72 % de leurs besoins en énergie. On obtient ce charbon en coupant ce qui reste de forêts et en préparant ce combustible en le carbonisant dans un four pauvre en oxygène, ce qui l'assèche et concentre son carbone pour une combustion ultérieure. L'absence d'une politique de conservation et d'un programme de déploiement de solutions plus écologiques explique que rien ne freine cette dévastation.

Lors de la conférence de Montréal sur les changements climatiques en 2005, j'ai eu la possibilité d'interviewer l'ex-président Aristide. Je n'ai jamais publié cette entrevue, car j'ai craint qu'on pense que j'aie voulu me moquer de lui, ou ridiculiser à travers lui un État qui n'en portait souvent que le nom. À la question de savoir pourquoi l'aide internationale fournie à ce pays ne s'était pas encore soldé par la mise en place d'un important programme de reboisement, le président haïtien d'alors m'avait répondu cette ineptie monumentale: on le fera, m'avait-il dit en substance, mais après avoir enseigné aux gens comment épeler le mot «arbre» parce qu'il est fondamental, disait-il, de pouvoir saisir ce mot et le concept pour agir efficacement sur le terrain.

La réalité est tout autre, car partout sur la planète où on tente d'enrayer la déforestation, en Chine comme au Sahel, la sagesse populaire saisit immédiatement l'importance et l'intérêt de reboiser quand on lui donne les moyens de le faire.

La région des Gonaïves, par exemple, ressemble en plusieurs endroits à un désert lunaire, illustrant la désertification extrême qui menace d'autres régions agricoles du pays en raison de l'érosion sans frein qui réduit la productivité des champs en les privant à chaque tornade de milliers de tonnes de matières organiques.

On a évalué que les quatre tornades et cyclones qui ont frappé Haïti à la fin de l'été 2008 ont transporté aux Gonaïves 2,6 millions de tonnes de boues, de la terre qui fera défaut aux sols agricoles en amont. Et la compaction qui résulte de l'assèchement des nappes souterraines en raison de l'absence d'arbres aurait réduit à 10 % la capacité de ces sols à stocker l'eau qui tombe du ciel.

Les photos satellites montrent aujourd'hui l'énorme différence entre les sols dénudés d'Haïti et ceux de la République dominicaine d'à côté, où 30 % des forêts sont encore debout, et même des forêts primaires (c'est-à-dire qui n'ont jamais été coupées). Ces forêts fournissent aux Dominicains d'importantes réserves d'eaux souterraines, de plus en plus rares en Haïti; un climat moins sec et meilleur pour l'agriculture, sans compter que ces forêts, riches en végétaux divers et animaux, sont des sources importantes d'aliments, de médicaments et même de bases génétiques variées pour le renouvellement et le maintien de la résistance des semences agricoles.

Le drame écologique qui paralyse le développement de cette île est aussi lié aux changements climatiques. Le réchauffement du climat n'est pas sans rapport avec l'augmentation de la fréquence des ouragans: après celui qui a dévasté les Gonaïves en 2004, y faisant 1600 morts, quatre autres tornades et cyclones ont frappé Haïti en 2008, avec leur cortège d'inondations aggravées par le déboisement, qui a aussi accéléré le ruissellement violent des pluies torrentielles.

On est loin de l'île luxuriante d'Hispaniola découverte par Christophe Colomb, qui abritait cocotiers, manguiers, papayers, acajous, flamboyants et tamariniers. Les planteurs qui ont développé dès le XVIIIe siècle la production d'épices, de café et d'indigo ont certes jeté par terre beaucoup de forêts au profit de leurs champs et plantations. Et les sociétés étatsuniennes ont accentué la déforestation pendant la Seconde Guerre mondiale au profit des plantations d'hévéas et de sisals pour les besoins de l'économie de guerre, un mouvement de déforestation que les Duvalier ont accentué pour leur profit personnel et en laissant la pauvreté endémique faire le reste. Il ne faut donc pas blâmer les pauvres d'Haïti pour ce déboisement, dont les racines plongent profondément dans le tissu de leur histoire.

Mais à court terme, et à très court terme, il faudrait que le Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE) mette en place en Haïti, pays de soleil par excellence, un programme de fours à cuisson solaire, comme celui mis en place avec succès au Chili, pour enrayer précisément le déboisement des régions montagneuses. Le programme de reforestation entériné par la toute récente conférence de Copenhague pour créer des crédits avec le stockage du carbone dans de nouvelles forêts devrait s'appliquer en priorité à Haïti pour y créer de l'emploi dans les serres, dans des pépinières et dans les régions où on réimplanterait en priorité les espèces végétales autochtones.

Certes, il faut reconstruire les villes haïtiennes, mais un volet majeur de la pauvreté serait réglé si, à long terme, l'augmentation de la population était absorbée par des campagnes reverdies et des écosystèmes forestiers à nouveau productifs. Un «plan Marshall» à la gloire du béton ne serait décidément pas très viable.

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