Par Nancy Roc
Source: Le Matin, 17 juillet 2009
"Au sein de cet environnement instable et turbulent, un seul élément reste constant: le changement ". Citation du Dalaï-Lama.
À l'occasion du 20e anniversaire de l'organisation "Konbit peyizan Nip" (KPN) dans le département des Nippes, la Première ministre Michèle Duvivier Pierre-Louis a appelé à la responsabilité civique face aux problèmes environnementaux. Elle a estimé que chaque citoyen a son rôle à jouer, souhaitant une prise de conscience collective pour résoudre le problème. "L'État ne fléchira pas dans ses efforts pour attaquer les problèmes environnementaux, cependant les citoyens doivent se responsabiliser. Cela réside, par exemple, dans le simple réflexe qui consiste à jeter les déchets dans les poubelles et non sur la chaussée ", a-t-elle souligné.
Si les propos de la Première ministre sont justes dans la forme, il est toutefois clair que dans le fond tout reste à faire. En effet, les citoyens ne peuvent se responsabiliser lorsque les propos de Mme Pierre- Louis vont à l'encontre de ceux du président de la République. Rappelons que ce dernier, après avoir assisté au Sommet de la Francophonie dans la ville de Québec du 17 au 19 octobre 2008, avait attribué le déboisement d'Haïti " aux colons, à l'occupation américaine et à la dictature " des Duvalier, déresponsabilisant ainsi le rôle de son gouvernement- tant en 1995 qu'aujourd'hui- dans le dossier environnemental. Quelques jours plus tard, M. Préval enfonçait le clou en déclarant que s'il était à la place d'un paysan aujourd'hui, il couperait lui-aussi des arbres pour faire du charbon de bois. Ces propos choquants ont été condamnés par de nombreux observateurs qui ont estimé qu'ils faisaient preuve de légèreté et d'irresponsabilité de la part d'un président qui, pendant deux mandats, n'a jamais proposé une alternative au charbon de bois à la population. Comment appeler à la responsabilisation civique lorsque le Chef de l'État cautionne des pratiques qui ont conduit le pays vers une catastrophe écologique ? Il faudrait donc que le président et son premier ministre puissent accorder leurs violons afin de tenir des propos cohérents mais aussi complémentaires face aux affres du déboisement.
Depuis le passage des quatre ouragans qui ont dévasté le pays l'année dernière, on notera certains progrès dans la lutte pour réhabiliter l'environnement, notamment dans le changement des politiques publiques. Rappelons à cet effet la création en mars 2009 du Comité interministériel d'aménagement du territoire (CIAT). Pour faire face à la détérioration continue du territoire haïtien, le Gouvernement de la République s'est doté du CIAT afin de définir une politique claire sur l'aménagement du territoire, de la mettre en oeuvre au niveau national comme au niveau local de façon volontariste et coordonné, tout en tenant compte des attentes, des contraintes et des ressources des populations. Lundi 13 juillet, le Comité interministériel d'aménagement du territoire (CIAT), présidé par la Première ministre Michèle Duvivier Pierre-Louis, a rencontré ses partenaires techniques et financiers. Selon un communiqué publié cette semaine par le Bureau du Premier ministre, " le CIAT a été favorablement accueilli par les partenaires techniques et financiers qui ont donné l'assurance de leur support à la réalisation de ses objectifs ". Toutefois, aucune autre information n'a été divulguée sur les résultats de cette réunion. Il en est de même pour la dernière campagne de reboisement lancée en mai dernier par le ministre de l'Environnement, Jean Marie Claude. Germain. Aucun suivi de cette campagne qui devrait s'étaler sur les cinq prochaines années. Et qu'en est-il du suivi de l'intervention de l'État au Morne Garnier ? Qu'en est-il de la fermeture des carrières de sable à Laboule ? La liste de ces questions pourrait s'étaler sur plusieurs pages…
Dernièrement, Sabine Manigat soulignait dans Le Matin les mêmes préoccupations dans un article intitulé " Environnement : On attend la catastrophe les bras croisés? ". Elle y soulignait que " nous sommes bel et bien prisonniers de l'irresponsabilité des pouvoirs publics. Aucune des actions nécessaires ou seulement envisageables ne peut se concrétiser dans le domaine de l'environnement sans une réglementation à la mesure des enjeux et des dangers que nous encourons et, surtout, leur mise en application avec la rigueur requise. C'est là que le plus grand bien au plus grand nombre devient un credo impératif car autrement… nous mourrons tous "(1). Or cette réglementation n'a toujours pas été élaborée et encore moins appliquée. Le gouvernement doit donc passer urgemment de la parole aux actes pour éviter le pire.
Des citoyens mobilisés
Si la Première ministre a souhaité que les citoyens se responsabilisent, il faudrait aussi qu'une vaste campagne de sensibilisation soit lancée et qu'elle soit accompagnée d'une réglementation adéquate en matière environnementale. Rien de cela n'existe pour le moment. Pourtant, des initiatives sont prises ici et là par différents groupes de la société civile. Le 29 mai dernier par exemple, l'orchestre Tropicana d'Haïti, par le biais de sa fondation philanthropique " Fonda Tropic " a lancé au Cap-Haïtien et au Limbé, l'opération " Planté pyé bwa pou la vi ka miyo ". Ce programme a mobilisé plusieurs milliers d'écoliers et 15 300 plantules ont été mises en terre.
Au Bel-Air, le 24 juin écoulé, des milliers de plantules ont été mises en terre, ont annoncé les organisateurs de la campagne " Bèlèvèt ". Même la Minustah s'est mise de la partie. En effet, plusieurs contingents de la Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti (Minustah) sont impliqués depuis janvier dans une campagne de reboisement destinée à inculquer le plus tôt possible aux enfants une conscience écologique, alors qu'aucun endroit du pays n'échappe au déboisement. La moitié des plantules utilisées au cours de cette campagne a été octroyée par l'organisation Double Harvest. L'autre partie a été offerte par le ministère haïtien de l'Agriculture.(2)
Malheureusement, ces heureuses initiatives ne peuvent en aucun cas faire la différence dans le scénario écologique catastrophique auquel nous devons faire face.
Nous avons appris avec plaisir que deux cents organisations de la société civile y compris des artistes ont décidé d'élever la voix contre la dégradation de l'environnement en Haïti et d'organiser une marche ce vendredi 17 juillet. Cette dernière sera organisée par "Moun pou Ayiti bèl " (Mab), soutenu par de nombreux artistes. Le professeur et cinéaste Arnold Antonin, l'un des chefs de file de Mab, juge nécessaire un sursaut national afin de circonscrire le suicide collectif imminent.
Rappelons que seulement 0.71% du Budget national est consacré à l'environnement. Le comité directeur de Mab déplore estime que 40% de ce budget devraient être alloués respectivement pour l'éducation et l'environnement.
Espérons, que cette marche sera un élément déclencheur d'une réelle prise en charge des graves problèmes environnementaux en Haïti. En matière environnementale, il faut absolument arrêter de se déresponsabiliser et passer urgemment de la parole à l'action. N'oublions pas que " notre environnement et notre attitude sont le résultat de nos choix " (Daniel Desbiens). Il en va de notre survie à tous.
Nancy Roc
Montréal, le 16 juillet 2009.
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Montréal, le 16 juillet 2009.
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(1) Sabine Manigat, "Environnement : On attend la catastrophe les bras croisés?", Le Matin, 8 juillet 2009.
(2) Service d'information des Nations- Unies, " Haïti : La MINUSTAH s'implique dans le reboisement ", 9 février 2009.
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(2) Service d'information des Nations- Unies, " Haïti : La MINUSTAH s'implique dans le reboisement ", 9 février 2009.
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