samedi 13 juin 2009

Haïti / Environnement : comment prévenir le suicide collectif ?

Source: Le Matin, vendredi 12 juin 2009
Par Nancy Roc


On ne peut que se réjouir de la mobilisation récente de plusieurs organisations de la société civile contre les désastres naturels et pour la réhabilitation de l’environnement en Haïti. Même si cette mobilisation a pris beaucoup de temps pour se concrétiser, « il est trop tard pour être pessimiste » pour paraphraser Yann Arthur Bertrand dans son dernier film HOME.
J’ai lu avec intérêt et beaucoup d’attention le dernier document issu d’un atelier de travail réalisé à Port-au-Prince les 25 et 26 mai 2009 autour des problèmes écologiques en Haïti. Plus de 150 organisations ont pris part à cet atelier organisé par le Collectif national des organisations de la société civile pour la protection et la réhabilitation de l’environnement (Conaos/Environnement) et le Centre Pétion-Bolivar. (1)
Dans ce document, ces associations dressent un constat réaliste et sans complaisance de la réalité environnementale en Haïti. Cette analyse souligne judicieusement le lien inextricable entre la dégradation environnementale et l’augmentation de la pauvreté, sujet souvent oublié dans les reportages diffusés en Haïti autour des conséquences de la non-gestion environnementale. Cette catastrophe, comme je l’ai rappelé dans mon dernier article publié dans Le Matin, « Le bateau coule ! », le 5 juin écoulé, coûte annuellement, depuis 2001 au pays le plus pauvre du continent, près d’un milliard de dollars américains. Les Haïtiens aiment critiquer les ONG et la Communauté internationale, mais réalisent-ils la manne financière qui est gaspillée à cause de l’irresponsabilité de nos gouvernants face à la dégradation environnementale ? J’en doute fort. Mais les sommes d’argent utilisées dans ce domaine doivent être chiffrées et rendues publiques.
Dans le document intitulé « Appel à la mobilisation générale et totale contre les désastres et pour la protection de l’environnement », les 150 organisations susmentionnées insistent aussi sur un point crucial en avançant que : « l’assistanat international a montré ses limites. Il n’a fait que déstructurer encore plus les institutions du pays sans apporter de solutions réelles et durables.
Un tableau aussi sombre invite à la réflexion et à l’action. C’est pourquoi l’ensemble de la communauté haïtienne de toutes les catégories et conditions sociales, de toutes les générations, de tous les secteurs et de toutes les confessions religieuses, est invitée à prendre part à la mobilisation totale contre le désastre, pour la protection et la réhabilitation de l’environnement ». Face à un tel constat, ces organisations lancent un vibrant appel à tous les Haïtien(ne)s : « Cessons ensemble ce processus de suicide collectif dans lequel nous avons collectivement lancé notre pays ».
Processus de suicide collectif : les mots sont lâchés. Ils sont précédés d’un autre mot qui ne semble toutefois pas rimer avec les Haïtiens : ENSEMBLE. Car depuis 1804, qu’avons-nous fait ENSEMBLE, sinon nous diviser et nous autodétruire ? Rien, rien, absolument rien. Pire ! Lorsque certains Haïtiens souhaitent se rassembler autour d’une cause surtout quand elle est noble ! – ils se heurtent à quatre problèmes récurrents :
  • Le groupe initiateur tente de rassembler mais se retrouve avec quelques individus -souvent pas plus de cinqqui doivent tout faire et tout porter sur le dos. Les autres les attendent ou les regardent jusqu’à ce qu’ils échouent;
  • Le groupe initiateur est -sinon toujours du moins le plus souventinfiltré par des éléments nuisibles qui, pour conserver leurs intérêts personnels ou leur chasse gardée, déploient toutes les tactiques nécessaires pour boycotter ou écraser le mouvement ou ses heureuses initiatives. C’est la mentalité du « après moi (ou sans moi), c’est le chaos ! »;
  • Le groupe initiateur, avec toute sa bonne volonté, veut s’accaparer le leadership de son mouvement même lorsqu’il n’a ni l’expérience ni l’expertise nécessaire dans un domaine spécifique;
  • Le groupe initiateur, pour les raisons susmentionnées, se retrouvent à cours de ressources humaines et, subséquemment, privé de ressources financières pour mener à bien leur projet.
Cette triste réalité se retrouve tant en Haïti que dans sa diaspora. La vérité est que ce schéma est constamment, voire systématiquement, répété par nos compatriotes. Ce qui est manifestement en jeu au premier chef dans la notion d’ensemble, c’est la relation d’appartenance. Or portons-nous foncièrement en nous ce sentiment d’appartenance envers un pays que nous traitons comme une terre de transit ? Notre rapport à l’habitat n’est-il pas dès lors problématique ? L’irrespect envers notre environnement qui nous a plongés dans le processus de suicide collectif résulte du fait que nous n’avons pas assez d’amour pour notre pays. Et cette tendance ne va pas s’inverser facilement. La différence aujourd’hui est que tout le monde se sent en danger dans un environnement aussi précaire : ce n’est donc pas la relation de l’appartenance qui nous pousse à nous mobiliser mais la peur du danger qui nous guette collectivement. J’espère que ces 150 organisations se rendront compte de cette différence fondamentale qu’elles devront considérer dans toute action à long terme. En effet, toute relation de l’homme avec l’environnement est directement liée à son rapport à Oïkos (du grec, « maison »), son habitat, son lieu, mais plus encore cet ensemble de biens et d’hommes rattachés à un même lieu d’habitation.
Sans un changement radical de mentalité, je vois difficilement comment prévenir le suicide collectif.
Ne pas réinventer la roue
J’ai aussi noté que dans le document « Appel à la mobilisation générale et totale contre les désastres et pour la protection de l’environnement », ces 150 organisations font 7 exigences principales au Gouvernement:
  • Que les organes du gouvernement, en particulier les ministères de l’Environnement, de l’Agriculture et des Ressources naturelles, le ministère des Travaux publics commencent à travailler de façon concertée pour la protection et la réhabilitation de l’environnement, la réalisation d’un cadastre et la mise en œuvre du plan d’aménagement du territoire;
  • Que le gouvernement adopte, sans délai, une politique de substitution au bois et au charbon de bois en mettant les gaz de pétrole liquéfiés (propane et butane) et le kérosène à la disposition de toutes les familles selon un prix compétitif, et qu’il mette en œuvre le décret de 1987 sur le bois-énergie;
  • Que le gouvernement de la République garantisse l’alimentation en eau potable, en adoptant les mesures appropriées pour gérer durablement les ressources naturelles, les forêts réservées, les parcs nationaux et les zones sous protection, lesquels sont considérés comme les châteaux d’eau du pays. Les pouvoirs publics doivent alors passer des contrats de gestion de ces aires protégées avec les collectivités territoriales et les acteurs non-étatiques sous la supervision méthodique d’une autorité désignée, par voie d’appel d’offres administré dans la transparence.

Je tiens encore une fois à souligner, voire à rassurer ces organisations, que ce travail a déjà été effectué dans le cadre du « Programme national de réhabilitation de l’environnement » et publié par le ministère de l’Économie et des Finances en 2006. Ce programme a coûté la bagatelle de 148.616.600 USD et comporte le Programme de substitution au charbon de bois et au bois de feu (SCB) et le Programme national de reboisement (PNR) qui adressent toutes les exigences de ces organisations. Il ne s’agit donc pas de réinventer la roue mais de faire pression pour exiger la mise en œuvre de ce Programme national de réhabilitation de l’environnement. Il faut que ces organisations prennent connaissance de ce Programme et en fassent leur nouvelle Bible. Il doit être divulgué et diffusé partout dans les deux langues officielles du pays. Il ne doit pas rester, comme tant d’autres études, dans un tiroir mais appliqué dès maintenant ! Deux autres points importants sont exigés par ces organisations :

  • Porter le gouvernement à arrêter l’exploitation anarchique des carrières de sable qui peuvent produire des catastrophes plus grandes que toutes celles que nous avons connues;
  • Porter le gouvernement et les mairies à appliquer les lois et à arrêter les constructions anarchiques pour que nous n’ayons plus à pleurer la mort de nos enfants comme à Nérette.

La réalisation du premier demandera bien plus qu’un document mais un engagement continu, voire des manifestations publiques d’envergure. On doit s’attaquer là non seulement au laxisme gouvernemental mais aussi à la mafia environnementale. Et la première question à laquelle doit répondre le gouvernement est la suivante : pourquoi cette exploitation n’a-telle pas été arrêtée et pourquoi le décret présidentiel ordonnant cet arrêt n’a-t-il pas été signé depuis un an ?Quant au second point, je doute qu’il puisse être réalisé par un Gouvernement reconnu pour son anarcho-populisme.

Les deux derniers points sont les suivants :

  • Porter les autorités et tous les secteurs de la société civile à se lancer en permanence et avec persévérance dans une campagne massive de sensibilisation et d’éducation pour la protection et la réhabilitation de l’environnement dans tous ses aspects. Les résultats de cette campagne et le changement de comportement permettront d’épargner beaucoup de capitaux et de vies humaines;
  • Réduire la dépendance alimentaire et contrôler les risques de famine grandissants par la modernisation de l’agriculture, en la rendant plus productive et mieux respectueuse de l’environnement.

La concrétisation de ces points, et des autres par ailleurs, ne pourra se réaliser que si ces organisations proposent une stratégie de mise en œuvre. Il ne faut plus se contenter d’exiger, car les autorités feront, comme à l’accoutumée, la sourde oreille. Il faut s’armer des outils pour obtenir gain de cause. Aujourd’hui, on ne peut plus se contenter d’être écologiste en Haïti : il faut devenir un activiste environnemental. Or cela demande beaucoup plus que des exigences au gouvernement. Cela commence par chacun de nous, par chaque entreprise, par chaque lobbying, etc. Cela va très loin et demande un autre article. Mais, entre-temps, ces organisations devraient réfléchir sur la citation suivante de Kafka : «Mettez la compréhension active en lieu et place de l’irritation réactive et vous dominerez les choses ».

Bon courage à tous !

Montréal, le 8 juin 2009

//L'article ci-dessus provient du lien suivant:
http://www.lematinhaiti.com/Article.asp?ID=18936
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(1) Alterpresse, Haïti : appel à la mobilisation générale et totale contre les désastres et pour la protection de l’environnement, le 8 juin 2009.
L'article d'Alterpresse est aussi accessible par le lien ci-après:

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