lundi 8 juin 2009

Le bateau coule !

Source: Le Matin, vendredi 5 juin 2009
Par Nancy Roc


La saison cyclonique vient de commencer. Elle pourrait être assez active et la formation des cyclones sur l’océan Atlantique devrait être supérieure par rapport à la moyenne des 50 ans (1951-2000) prise comme référence. C’est ce qu’ont annoncé deux membres de l’équipe de chercheurs en prévision cyclonique, Philip Klotzbach assisté par le réputé William Gray, du Département des Sciences de l’Atmosphère de l’Université du Colorado à Fort Collins, lorsqu’ils ont publié les premiers résultats de leurs prévisions pour la saison cyclonique 2009 sur l’ensemble du Bassin Atlantique.
Ces chercheurs prévoient 14 cyclones, 7 ouragans et 3 ouragans intenses. Haïti vient de connaître une saison de pluie déjà meurtrière et qui, une fois de plus, démontre tragiquement la vulnérabilité de notre environnement. Une douzaine de morts ont déjà été enregistrés et 1900 familles sont sinistrées. Les réfugiés environnementaux constituent un problème majeur auquel les autorités doivent trouver une solution. En témoigne la situation qui prévaut à l’entrée de la ville des Gonaïves ou encore à Passe Reine où les réfugiés environnementaux de 2008 croupissent encore sous des tentes déchirées, souvent sans eau potable. Face à la nouvelle saison cyclonique qui s’annonce, que peuvent-ils espérer des dirigeants du pays ? Resteront-ils définitivement dénués de tout recours ?
Une bombe à retardement
Suite au passage de la tempête Jeanne, International Crisis Group avait déjà prévenu que « le désastre écologique est une bombe à retardement qui doit être adressé pour prévenir une nouvelle instabilité ». Dans un récent rapport, daté du 28 avril écoulé, International Crisis Group précise que « les différents gouvernements qui se sont succédé ne se sont pas suffisamment impliqués pour résoudre la situation. En conséquence, en 2009, Haïti risque de faire face à un nouveau déclin économique et, possiblement, à une nouvelle déstabilisation politique aggravée par une crise financière internationale ». Pour ce groupe spécialisé dans la prévention des conflits, « même si cette problématique ne pourra être adressée que sur le long terme, des actions immédiates doivent être prises par le président René Préval et le Premier ministre, Mme Michèle Duvivier Pierre-Louis ». Ainsi, International Crisis Group fait les recommandations suivantes:
  • déclarer l’environnement comme priorité nationale et lier la réhabilitation environnementale et les mesures de prévention aux stratégies de développement économique telle que la stratégie de réduction de la pauvreté;
  • protéger les ressources forestières en encourageant des alternatives au charbon de bois, en taxant la vente et le transport du charbon et du bois et en investissant ces retours de taxes dans des programmes de réhabilitation environnementale;
  • investir davantage l’aide externe dans le développement rural pour ralentir l’exode vers les bidonvilles urbains, intensifier les projets de protection environnementale dans les bidonvilles tout en augmentant l’accès à l’eau potable et aux besoins sanitaires de base;
  • renforcer les institutions à mieux gérer l’environnement en établissant et en encourageant des structures de gouvernance locale en maintenant l’ordre communautaire et en appliquant la loi organique du ministère de l’Environnement; en éliminant les mesures ministérielles de recouvrement pour gérer les ressources naturelles et en assurant une meilleure coordination entre les ministères et la communauté internationale en créant un comité interministériel de l’environnement qui serait présidé par le Premier ministre.

International Crisis Group rappelle aussi les chiffres inquiétants liés aux désastres naturels de ces dernières années en Haïti. Entre 2001 et 2007, les catastrophes naturelles ont causé la mort de 18.441 personnes, en ont blessé 4.708 et créé 132.000 sansabri. Près de 6,4 millions d’Haïtiens sur 9,7 millions ont été affectés par ces désastres naturels et les dommages sont estimés à $ 4,6 milliards de dollars américains ! Les ouragans de 2008 ont tué 793 personnes, 310 ont disparu, 100.000 sans-abris et 112.000 maisons ont été endommagées ou détruites. Les dégâts sont estimés à $ 897 millions de dollars.

Rapports vs actions

Malgré tous les cris d’alarme lancés avant et après 1986, les autorités haïtiennes n’ont jamais mis en œuvre un projet de reboisement ni essayé de trouver une alternative au charbon de bois. Résultats : 70% des besoins énergétiques du pays dépendent encore du bois de feu et du charbon de bois, 30 millions d’arbres sont coupés annuellement, selon le bulletin du « Programme national de réhabilitation de l’environnement » publié par le ministère de l’Économie et des Finances en 2006.

Pour prévenir la catastrophe qui menace le pays et dont les signes avant-coureurs sont indéniables, le Programme de réhabilitation de l’environnement (Pre), d’un coût de 148, 616,600 USD, a été élaboré. Il s’étend sur une période de 5 ans et comporte deux volets complémentaires indissociables : le Programme de substitution au charbon de bois et au bois de feu (SCB) et le Programme national de reboisement (PNR). Le premier vise essentiellement à mettre à la disposition de 700.000 familles haïtiennes des énergies alternatives grâce notamment à la subvention des équipements de cuisson, la mise en place de micro centres de distribution de GPL sur l’ensemble du territoire national, la baisse du prix du GPL, le financement des équipements de cuisson pour 10.000 « machann manje kwit », la conversion des installations des boulangeries, distilleries et blanchisseries. Quant au PNR, il entend reboiser en cinq ans 5% du territoire national par la plantation de 140 millions d’arbres dans les zones montagneuses à fortes potentialités, bassins versants des principaux cours d’eaux du pays.

Selon le PNR, « la mise en œuvre d’un tel programme aura des incidences sur la balance des paiements, résultant notamment de l’augmentation progressive de l’importation de GPL (environ 554 millions USD sur 5 ans). Ce montant est toutefois nettement inférieur aux 1.6 milliards USD que coûte annuellement au pays la dégradation de son environnement et peut être compensé, à terme, par les revenus générés par le PNR. Les expériences antérieures, tant en matière d’énergie de substitution que de reboisement, d’aménagement de bassins versants et de conservation des sols en Haïti, indiquent que le PRE ne pourra atteindre ses objectifs que si le gouvernement et la société haïtienne s’engagent à en faire un programme d’État, non sujet aux aléas de la politique, s’il s’intègre dans un plan national de développement associé à un plan d’aménagement du territoire, et si un cadre institutionnel adéquat est mis en place ».

Cette étude date de novembre 2006 et hélas n’a pas reçu l’ombre d’une publicité ni d’un engagement de mise en œuvre par les organes de l’État. Elle vient donc s’ajouter à la multitude d’études effectuées à grand renfort de dollars ainsi qu’au Plan d’action pour l’environnement publié en 1999. Dix ans plus tard, ce plan d’action n’a toujours pas été mis en œuvre et la commission interministérielle sur l’environnement qui l’a créé n’existe plus. Haïti est un pays qui a fait l’objet de milliers d’études qui n’ont jamais eu de suite. Si tous ces financements étaient investis directement sur le terrain, le pays ne serait certainement pas dans cet état de délabrement total constituant un danger grandissant pour la population.

Combien de morts faudra-t-il enregistrer pour que nos politiciens se rendent compte que sans des actions urgentes en matière environnementale, Haïti ne fera que s’appauvrir ? Le bateau coule, Messieurs et Dames. Réveillez-vous !

Montréal, le 2 juin 2009.

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(1) International Crisis Group, Haiti: Saving the Environment, Preventing Instability and Conflict, Latin America/Caribbean Briefing N°20, 28 avril 2009.

(2) UTE – Programme National de Réhabilitation de l’Environnement, page 3
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http://www.lematinhaiti.com/Article.asp?ID=18829

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