Document issu d’un atelier de travail réalisé à Port-au-Prince les 25 et 26 mai 2009 autour des problèmes écologiques en Haïti. Plus de 150 organisations ont pris part à cet atelier organisé par le Collectif National des Organisations de la Société Civile pour la Protection et la Réhabilitation de l’Environnement (CONAOS/ENVIRONNEMENT) et le Centre Pétion-Bolivar.
Tous les ans, nous assistons passivement à des catastrophes, les unes plus dévastatrices que les autres. Ces dernières années des milliers de nos compatriotes ont été emportés par les eaux en furie. Le pays entier est en train de s’effondrer sur ses enfants.
Alors que tout nous indique que notre environnement, par notre faute à nous et celle d’un Etat irresponsable, est devenu une bombe à retardement, que faisons-nous, nous, citoyens et citoyennes, qui sommes encore rescapés des catastrophes ? Le vieux Commandant Cousteau parlait déjà il y a 25 ans du désastre écologique en Haiti comme un génocide à action retardée. Nous rendons-nous compte que ce génocide est en cours et accepterons-nous d’être les bourreaux de nous-mêmes ?
Si l’environnement est par définition le lieu où l’on vit, le développement est ce que l’on fait à l’intérieur de cet espace pour améliorer ses conditions d’existence. On peut comprendre aisément pourquoi la réalité écologique est plurisectorielle et multidimensionnelle. C’est pour cela que l’environnement est un domaine transversal. Il devient donc urgent que les politiques environnementales soient intégrées dans toutes les politiques sectorielles.
En Haiti, tous les problèmes de l’environnement rural et urbain sont urgents, essentiels et prioritaires. D’un coté, on constate la déforestation, l’érosion, l’appauvrissement des sols, la perte de biodiversité, le tarissement des sources, le régime torrentiel des rivières, les inondations répétées, l’envasement des canaux d’irrigation et de drainage, le blanchiment des coraux, la désertification et l’utilisation inconsidérée des ressources naturelles. De l’autre coté, on note la pauvreté de masse, l’émigration, la multiplication des bidonvilles, la mauvaise gestion des déchets, les décharges sauvages, l’absence d’’égouts sanitaires, la divagation des eaux usées, les nuisances sonores et la transformation de nos principales villes en d’infectes cloaques . Et comme il n’y a pas de cloisonnement entre le premier coté et l’autre, la société haïtienne dans son ensemble doit s’alarmer et comprendre qu’elle est devant une situation exceptionnelle et de gravité explosive qui exige des mesures urgentes, vigoureuses, de grandes amplitudes et un changement de comportement radical de la population face à l’environnement.
D’un côté comme de l’autre, il s’agit de problèmes complexes dont les causes s’interpénètrent et dont les solutions peuvent se retrouver sur des chemins contradictoires. Il convient donc de trouver un fil conducteur qui lie tous ces phénomènes, lesquels peuvent néanmoins avoir des causes spécifiques notamment en termes de gestion et de mauvaise gouvernance, expliquant ainsi la grande vulnérabilité de la population vis- à-vis des catastrophes naturelles et autres. On peut alors dire que l’accroissement progressif de la population a augmenté en proportion les besoins primaires en énergie, en nourriture et en logement. Pour satisfaire de tels besoins, en l’absence d’innovation technologique et en présence d’un Etat prédateur, les paysans rarement aidés par les élites ont eu recours, pendant deux siècles, à bien des palliatifs qui ont fini par montrer leurs limites.
Dit autrement, les paysans ont dû, après les élites qui ont exploité les bois précieux jusqu’à l’épuisement des réserves, exploiter abusivement les terres forestières pour la conquête de terres arables et l’utilisation à outrance de bois et de charbon de bois notamment comme source de matière première et d’énergie. Aujourd’hui, il n’y a plus de forêt ou presque, la production du charbon de bois s’élève à plus de 400 000 tonnes par an, les pertes de sol sont estimés annuellement à plus de 40 000 TM., plus d’une centaine d’espèces animales et végétales sont respectivement menacées d’extinction ; la dernière grande inondation en date a causé la mort de plus de 2 000 personnes et occasionné la perte d’environ un milliard de dollars tandis que l’envasement des canaux d’irrigation et de drainage fait perdre au pays plus de 100 millions de dollars par an. Il n’est donc pas surprenant que tout le monde soit pauvre sauf une petite minorité, et que le taux de chômage de la population active tourne autour de 70 % tandis que le nombre d’habitants vivant avec moins de deux dollars par jour représente 80 % d’une population totale évaluée, depuis plusieurs années, à huit millions d’âmes.
L’assistanat international a montré ses limites. Il n’a fait que destructurer encore plus les institutions du pays sans apporter de solutions réelles et durables.
Un tableau aussi sombre invite à la réflexion et à l’action. C’est pourquoi l’ensemble de la communauté haïtienne de toutes les catégories et conditions sociales, de toutes les générations, de tous les secteurs et de toutes les confessions religieuses, est invitée à prendre part à la mobilisation totale contre le désastre, pour la protection et la réhabilitation de l’environnement. Cessons ensemble ce processus de suicide collectif dans lequel nous avons collectivement lancé notre pays.
Etant donné qu’on ne peut ni faire pousser les arbres en un jour, ni augmenter le débit des rivières en une semaine, ni faire disparaître les bidonvilles en un mois et encore moins donner du travail à tous en une année, compte tenu du fait que les choses immatérielles ne demandent qu’à être bien gérées et qu’en définitive tout va dépendre de l’homme, agent et bénéficiaire du développement durable, il importe de se fixer des priorités simples et claires afin de diminuer la pression sur les ressources ligneuses, garantir les services environnementaux particulièrement la fourniture d’eau potable et relancer la production agricole pour éviter la famine généralisée.
Fort de cela, les citoyens et citoyennes du pays se mobiliseront à travers les Organisations de la Société Civile pour :
- Exiger que les organes du gouvernement, en particulier les ministères de l’environnement, de l’agriculture et des ressources naturelles, le ministère des travaux publiques commencent à travailler de façon concertée pour la protection et la réhabilitation de l’environnement, la réalisation d’un cadastre et la mise en œuvre du plan d’aménagement du territoire.
- Exiger que le Gouvernement adopte, sans délai, une politique de substitution au bois et au charbon de bois en mettant les gaz de pétrole liquéfiés (propane et butane) et le kérosène à la disposition de toutes les familles selon un prix compétitif, et mette en œuvre le décret de 1987 sur le bois-énergie.
- Porter le Gouvernement de la République à garantir l’alimentation en eau potable, en adoptant les mesures appropriées pour gérer durablement les ressources naturelles, les forêts réservées, les parcs nationaux et les zones sous protection, lesquelles sont considérées comme les châteaux d’eau du pays. Les pouvoirs publics doivent alors passer des contrats de gestion de ces aires protégées avec les collectivités territoriales et les acteurs non-étatiques sous la supervision méthodique d’une autorité désignée, par voie d’appel d’offres administré dans la transparence.
- Porter le gouvernement à arrêter l’exploitation anarchique des carrières de sable qui peuvent produire des catastrophes plus grandes que toutes celles que nous avons connues.
- Porter le gouvernement et les mairies à appliquer les lois et à arrêter les constructions anarchiques pour que nous n’ayons plus à pleurer la mort de nos enfants comme à Nérettes.
- Porter les autorités et tous les secteurs de la société civile à se lancer dans une permanente campagne massive et persévérante de sensibilisation et d’éducation pour la protection et la réhabilitation de l’environnement dans tous ses aspects. Les résultats de cette campagne et le changement de comportement permettront d’épargner beaucoup de capitaux et de vies humaines.
- Réduire la dépendance alimentaire et contrôler les risques de famine grandissants, il est indiqué d’initier la modernisation de l’agriculture de manière qu’elle soit plus productive et mieux respectueuse de l’environnement.
Si chaque haïtien, même le plus démuni , aspire à la possession individuelle d’une maison et rêve qu’elle soit coquette et bien tenue , nous devons prendre conscience que la terre de ce pays est notre maison à tous, que nous nous devons de la préserver avant toute autre chose nous, citoyens et citoyennes du pays. Elle est notre patrimoine à tous sans lequel nous ne saurions avoir de maison individuelle ou familiale. Nous devons nous unir pour lancer à travers le pays une mobilisation générale et totale à long terme afin de sauvegarder le patrimoine environnemental unique et commun à tous et d’installer le pays sur la voie du développement durable.
VIVE LA MOBILISATION GENERALE ET TOTALE CONTRE LES DESASTRES, POUR LA PROTECTION DE L’ENVIRONNEMENT
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