mardi 3 février 2009

ENVIRONNEMENT-ETAT D’URGENCE: VINGT ANS APRES (*)

Par Edmond Magny
Géographe-Auteur

Haïti, mai 2007

En me décidant à écrire ces lignes, je me sens empreint de deux désagréables appréhensions : la première, c’est d’avoir à survoler le chemin parcouru entre un certain mois d’avril 1987 et avril 2007, la deuxième c’est de voir peut-être répéter la même chose dans vingt ans à nouveau. Loin de nous pourtant un sentiment d’amertume mais, le poids des inerties cumulées, non pas face aux catastrophes à venir mais aux malheurs qui sont déjà là, nous fait réévaluer notre capacité illimitée à remettre notre sort à la fatalité.

Récapitulons ! Un certain mois d’avril 1987 le dynamique staff du CRDA (Centre de Recherche et de Documentation Agricole) du Ministère de l’Agriculture eut l’idée d’organiser à la Faculté d’Agronomie un colloque sur la dégradation accélérée de l’environnement. C’était l’époque où les crues des rivières comme l’Acul du Sud, du Limbé, de la Rouyonne, des Trois Rivières, pour citer quelques unes, faisaient des dégâts importants dans leurs zones respectives. C’était encore l’époque où les parcs LA VISITE ET MACAYA venaient d’être classés « Réserves de la Biosphère » par l’UNESCO pour leur flore et leur faune endémiques uniques au monde. C’était surtout l’époque où différentes associations écologiques naissantes comme la FAN (Fédération des Amis de la Nature) prenaient conscience du péril écologique menaçant le pays à cause du déboisement anarchique qui n’épargnait ni la seule grande foret des Pins qui nous restait ni précisément les parcs LA VISITE ET MACAYA, situés respectivement dans les massifs de la Selle et de la Hotte. C’était enfin l’époque où le pays commençait son expérience démocratique, amorcée après le 7 février 1986, et où les plus beaux rêves étaient permis pour la nation renouvelée. Malheureusement, la politique a pris le pas sur l’écologie dans le bouillonnement des évènements qui se sont succédés par la suite, malgré d’intéressantes publications.

La Déclaration d’Etat d’urgence signée le 23 avril 1987 par plusieurs dizaines de participants au colloque, dont des personnalités connues, est restée longtemps un document de référence face à la dégradation de l’environnement. Une organisation comme l’Association haïtienne, Société pour le Reboisement d’Haïti (SRH), basée au Canada, en a fait son credo depuis des années. Elle a été reproduite à plus de 500 exemplaires, distribuée à tous les membres du gouvernement d’alors à sa sortie en mars 1988, y compris à chaque parlementaire.

Il faut avouer que ce document, tout en étant succinct (une vingtaine de pages) est très cohérent dans sa démarche et se présente comme suit :

1.- Nécessité de la déclaration officielle de l’Etat d’Urgence passant en revue la situation des différentes ressources naturelles.

2.- Cadre de référence de la déclaration officielle de l’Etat d’Urgence, définissant les domaines d’action, la justification stratégique, les objectifs, les implications, les modalités de mise en œuvre, les mesures de soutien pour freiner la dégradation d’abord et pour rétablir l’équilibre écologique ensuite, les différents chantiers, la création d’un fonds d’urgence, la durée, le calendrier etc…

Vingt ans et trente colloques après, où en sommes-nous ? Combien de documents d’ateliers, de colloques, de conférences ont été rédigés, signés et diffusés dans une ambiance euphorique et acheminés aux instances supérieures de la nation pour des suites pressantes ? L’écologique, répétons-le, a toujours été écarté ou oublié au profit du politique et pourtant, il y a eu l’incontournable « Bilan commun de pays » en 2000 puis juste après, le fondamental PAE « Plan d’Action pour l’Environnement », tous deux appuyés par le PNUD qui, lui-même, a proposé en 2004 le CCI (Cadre de Coopération Intérimaire) incluant un grand volet sur l’environnement, pendant que la dégradation de celui-ci s’accélérait entre 1987 et 2000, encore entre 2000 et 2004 et ainsi de suite. Aucun de ces documents n’a connu une réelle application, tandis que la situation empirait.

Nous nous gardons bien d’évoquer l’évolution de l’environnement dans sa globalité, ce qui constitue la meilleure approche puisque l’environnement est un tout comprenant l’environnement humain, l’environnement ressources qui nous retient le plus souvent, et l’environnement cadre de vie. L’environnement humain est sensible au contexte social, administratif, politique, dont il subit les péripéties et les tracasseries de toutes sortes. On pourrait en parler longuement puisqu’il s’est dégradé lui aussi. L’environnement cadre de vie se passe de commentaires puisqu’on n’a qu’à regarder autour de soi pour noter une série de situations irritantes : voirie délabrée, insalubrité, carrières de sables incontrôlées, bidonvilles et marchés omniprésents, occupation anarchique des espaces urbains et ruraux, paysages non aménagés à différents points de vue élémentaires tels l’entretien des infrastructures, la signalisation routière, la fourniture des services essentiels à la population, comme l’eau, l’électricité. On ne peut pas compter sur la coopération internationale pour tout ceci alors qu’elle refait périodiquement la révision des diagnostics et des problématiques, pour constater en fin de compte que des actions se font mais pas assez vite, car la tâche est immense, en dépit de quelques bonnes initiatives du Ministère de l’Environnement.


La bonne volonté des promoteurs des récents colloques d’avril 2007 organisés par la FHE (Fédération Haïtienne de l’Environnement) ne fait pas de doute. Il a même été précisé que ce ne sera pas un débat de plus. Les cris d’alarme ont été repris face à la crise énergétique dans un premier temps, et face au dilemme de l’eau dans un deuxième temps. On doit encore rappeler que le potentiel hydrique à sauver est encore disponible, quoique sérieusement menacé, que notre pays a encore de beaux sites à montrer et à exploiter et que nous sommes le dos au mur ou mieux, le dos à la mer, dans la dernière ligne droite, avant un scénario - catastrophe amplifié par le réchauffement climatique planétaire croissant. Un cauchemar difficile à imaginer où des bateaux – tankers nous apporteraient l’eau comme dans certaines petites îles des Caraïbes et du Pacifique. Cela ne dépend que de nous car, comme le disait un ancien dirigeant haïtien, ici démarrer se dit « déraper » et partager se dit « séparer ». Tout le contraire de ce qu’il faudrait.

Ces centaines de jeunes qui ont été formés depuis 1990, date de lancement en Haïti du premier cours universitaire sur l’environnement à l’Université Quisqueya, que nous avons enseigné avec flamme, avec d’autres, doivent resserrer les rangs avec d’autres jeunes et la société civile telle qu’elle se mobilise maintenant avec la FHE et pousser à ce sursaut national si nous voulons avoir encore un pays. Avec tous les autres citoyens et citoyennes conscients du danger, ils sont appelés à entamer et à poursuivre avec les structures étatiques en place, pendant 20, 30, 50 ans, l’effort nécessaire pour consolider le pays physique d’abord, car c’est notre principal support et il n’y a pas d’autre ailleurs possible pour notre peuple. La prise de conscience semble se faire lentement au fil des catastrophes comme aux GONAIVES, à MAPOU et FONDS VERRETTES, pour citer quelques exemples récents pouvant peut-être forger notre détermination à agir vite, enfin !!


Edmond Magny
Géographe – Auteur
(Extrait du journal Le Nouvelliste du 2 Mai 2007)
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(*) Texte reçu de l'ingénieur Gérard Tassy au Coin de Pierre en décembre 2008

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