mardi 7 avril 2009

Pétion-ville, le big boum … «poum» !

Par Lionel Duvalsaint, ing.
Professeur, Faculté des Sciences, UEH
lion_duv2001@yahoo.com
Mai 2008, Le Nouvelliste
Avril 2009, Le Coin de Pierre - Environnement



Pétion-Ville a connu ces dernières années un essor considérable. Les expériences traumatisantes vécues au bas de la ville de Port-au-Prince peuvent expliquer, entre autres, cette forte migration. Des commerçants du secteur formel et informel s’entassent dans cet espace certainement non conçu pour les accueillir. Et dans cette aire où se développe ce « big boum », on commence déjà à respirer l’air d’un gros « poum », et pour causes.

Considérons d’abord les alentours de la ville. Les constructions (toutes dimensions confondues) érigées en ces lieux, de manière anarchique, l’ont systématiquement prise en otage. Elles défient souvent toutes les règles de l’urbanisme, de l’équilibre statique, de l’architecture et du génie civil. Situées généralement aux abords des voies d’eau : ravines et thalwegs, elles déversent tout naturellement leurs déchets dans ces coursiers. Les matières évacuées sont biodégradables (fèces, déchets alimentaires, haillons, etc.) ou non (bouteilles et sachets en plastic, produits métalliques, rejets provenant des garages, etc.).

Les premières, broyées par les galets lors des averses, s’infiltrent dans le sol et finissent par retrouver les nappes aquifères pour nous donner un fameux cocktail aux coliformes. La CAMEP peut nous en dire long des sources Cerisier- Plaisance qui alimentent le réservoir de Bourdon.
Les autres, charriées par les eaux furibondes, traversent les frontières de leur juridiction pour s’étaler sur la voie publique ou se retrouver dans les exutoires des ravines, rejoindre le littoral et …la haute mer.

Il est important de signaler ce torrent qui aboutit directement à Pétion-Ville via la Route de Kenskoff, en provenance du Morne Calvaire. Il reçoit dans son chenal des déchets humains et domestiques qui envahissent la ville, à l’aval, à la moindre averse. Ces produits souillés sont en partie responsables de certaines odeurs nauséabondes localisées et surtout des épidémies qui s’abattent sur cette localité, de manière saisonnière.

A l’entrée principale de la ville, dans les environs du Morne Lazare, un fort relent d’acétone n’étonne personne.

Les ravines aboutissant à Tête-de-l’Eau, dont les lits s’étirent vers l’amont sur plusieurs kilomètres, contribuent également aux dégagements d’odeurs désagréables dans la Cité de Pétion. Leur prolongement la traverse entièrement dans le sens Sud-Nord et constitue le lieu privilégié d’évacuation d’ordures de toutes sortes. Les flaques dont elles sont parsemées donnent lieu à de véritables bouillons de culture. De plus, elles peuvent, en cas de pluies exceptionnelles récurrentes, inonder la ville en empruntant tout naturellement la Rue Grégoire. La ville semble avoir déjà vécu cette situation dans le passé.

A l’intérieur du périmètre défini pour l’évolution de la ville elle-même, on observe depuis quelques années une occupation/modification fébrile de l’espace urbain (constructions nouvelles, petit commerce sur les trottoirs, remodelage). Pétion-Ville n’est plus résidentielle. Elle s’est vue transformée en un véritable centre commercial et les infrastructures mises en place depuis sa création sont devenues obsolètes, en particulier le système d’évacuation des eaux pluviales et domestiques.

Actuellement, des bâtisses conçues pour être des résidences unifamiliales sont remodelées pour être occupées par des bureaux, institutions bancaires ou commerciales, des restaurants, avec une plus forte sollicitation de leurs installations sanitaires. Les fosses septiques n’étant pas calibrées pour ces taux de fréquentation élevés, débordent et, bien sûr, dégagent des odeurs dans la ville.

La situation se retrouve aggravée par le fait que Pétion-Ville soit érigée sur un conglomérat, mélange géologique donnant lieu à un matériau compact de capacité filtrante très faible. Les lits filtrants et puisards éventuels mis en place en vue d’assurer l’épandage des eaux vannes et autres, arrivent bien vite à être saturés.

Quant aux constructions nouvelles, des édifices généralement à plusieurs étages, donc à fort taux d’occupation projeté, il ne semble pas évident que des dispositions soient prises en vue d’une évacuation rationnelle des eaux noires et grises puisque déjà des problèmes de cette nature se posent à certaines d’entre elles.

Une autre source évidente de dégagements d’odeurs désagréables est constituée par le Marché de Pétion-Ville (l’ancien) que la Mairie essaie de relocaliser de façon définitive. Toutes considérations étant mises à part en ce qui concerne les ordures générées et leurs incidences odoriférantes, il est à retenir que dans tout espace où de fortes concentrations humaines sont prévues, des installations sanitaires doivent être rendues disponibles afin de permettre à ces gens de satisfaire leurs besoins naturels. Autrement, les résultats peuvent être catastrophiques.

On ne doit pas oublier que les odeurs peuvent être des vecteurs de maladies. En effet, les molécules odorantes, transportées par l’air, atteignent la cavité pulmonaire et la muqueuse olfactive via le nez (voie nasale) ou la bouche (voie rétro nasale) et, après avoir traversé une couche de mucus, elles viennent se lier sur les neurones olfactifs. On conçoit aisément que lorsque ces molécules sont souillées, elles communiquent au corps qui les absorbe leurs particules pathogènes. De telles particules, responsables d’épidémies saisonnières, n’épargnent pas non plus les individus souffrant du syndrome de Kallmann résultant d’un défaut de développement embryonnaire du système olfactif et des neurones y relatifs.

Ainsi, des dispositions plus qu’urgentes doivent être prises afin de résoudre les problèmes de développement anarchique de la périphérie pétion-villoise. Elles font appel à une volonté politique affirmée qui déboucherait sur une planification ordonnée et intelligente du déplacement des familles occupant les espaces jadis réservés.

En ce qui concerne la ville, son système d’évacuation des eaux usées est à repenser en vue de l’adapter aux réalités du moment et aux projections ultérieures. Il sera conçu de façon à permettre aux différentes bâtisses de s’y brancher. Une station d’épuration recevra ces eaux souillées en vue de leur traitement avant toute évacuation finale via des champs d’épandage, les coursiers existants ou leur utilisation à d’autres fins, une fois traitées.

En attendant les schémas directeurs d’aménagement et le Code de Construction des Bâtiments en Haïti, la Mairie devra requérir, entre autres, pour toute nouvelle bâtisse ou tout réaménagement de locaux existants à des fins d’usage commercial, une appréciation d’impact environnemental. Ainsi, en plus de cadres pouvant se prononcer sur les aspects structurels et architecturaux de ces constructions, elle devra disposer de ressources humaines valables pouvant évaluer ces propositions et formuler, le cas échéant, des recommandations plus idoines.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire